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Petites Ignorances de la Conversation

Le vocabulaire de Voltaire


On nomme ainsi la substitution de ai à oi dans un certain nombre de substantifs et dans l'imparfait et le conditionnel des verbes. C'est Voltaire, en effet, qui, en adoptant cette orthographe, l'a popularisée et l'a fait passer dans notre langue. Il pensait que l'orthographe doit se rapprocher autant que possible de la prononciation ; à ses yeux, c'est une incongruité d'écrire emploiroient, octroieroient, quand on prononce employaient, octroiraient.

« L'écriture, dit-il, est la peinture de la voix ; plus elle est ressemblante, meilleure elle est. »

Autrefois les mots en oi se prononçaient comme ils s'écrivaient, et alors l'incongruité que signale Voltaire n'existait pas. Plus tard, à la cour de Médicis, notre langue s'est italianisée : on a voulu adoucir les sons qui paraissaient trop rudes à l'oreille, et c'est de là en réalité que date cette transformation qui se fit dans la prononciation d'abord,

Quand l'argent est meslé on ne peut reconnoistre
Celui du serviteur d'avec celui du maistre,
(RÉGNIER)

et ensuite dans l'orthographe.

Laurent Joubert, le fameux médecin de Henri III, et l'auteur d'un Dialogue sur la cacographie française, est l'inventeur de la nouvelle orthographe. « Laurent Joubert, dit Charles Nodier dans ses Notions élémentaires de linguistique, est, en effet, le premier néographe qui se soit avisé de substituer le diagramme ai à la diphthongue oi dans l'orthographe de notre nom national. Certains princes d'Allemagne lui ayant donné charge d'essayer à leur faire comprendre exactement le langage fransais (je prie le lecteur d'être bien persuadé que c'est Laurent Joubert qui parle et écrit) :

« Pour ce, continue-t-il, j'ay méprisé tous livres écris en fransais, et me suis contraint d'apprandre le langage an conversant familièrement avec ceus qui parlet mieus, observant trae soigneusement la vraye prolacion. De laquelle m'étant bien assuré, j'ai commencé d'exprimer par écrit le naïf parler du Fransais. »

Cette prononciation niaisement italianisée, née de l'impuissance à la cour italienne des Valois, et propagée dans la province par un sot esprit d'imitation, n'avait pas encore gagné les grammairiens. Il appartenait au médecin du roi d'en faire les honneurs, qui étaient réservés, en dernier ressort, à un de ses gentilshommes.

On cite, après Laurent Joubert, le grammairien Honorat Rambaut et l'avocat Bérain, qui ont aussi tenté d'introduire dans l'orthographe le changement dont nous nous occupons.

Racine paraît être le premier, parmi les grands écrivains, qui ait substitué ai à oi dans les personnes, des verbes :

« La catastrophe de ma pièce, dit-il en parlant de la Thébaïde, est peut-être un peu trop sanglante ; en effet, il n'y parait presque pas un acteur qui ne meure a la fin.»

Ainsi l'orthographe dite de Voltaire n'a pas été inventée par lui ; elle remonte au XVIème siècle et elle a fait un pas dans le XVIIème sous l'autorité de Racine ; mais, si Voltaire n'en est que l'Améric Vespuce, c'est lui incontestablement qui l'a fait prévaloir sur l'ancienne orthographe.

Il est à remarquer que, par horreur sans doute de tout ce qui vient de Voltaire, la plupart des membres du haut clergé ont conservé l'usage de la diphthongue oi dans l'imparfait et le conditionnel des verbes. Quelques-uns de nos écrivains ont fait de même : Chateaubriand et Nodier sont de ce nombre.