fond fond
Préface Pot-Pourri Pékin Œufs de Pâques Calembourg Battre la breloque Marotte Olibrius Monter sur ses grands chevaux Le Roi de Prusse Mettre au violon Ours mal léché Nœud gordien Mettre au rancard Mouchards Pays de Cocagne Morgue École buissionnière Malotru Conter fleurettes Vocabulaire de Voltaire Galimatias Faire ripaille Cordon bleu Fourches caudines Rang d'oignon Poisson d'avril Coup de Jarnac Mailles à partir Cul de sac Faire grève Aller au diable Auvert Retour

Petites Ignorances de la Conversation

Mettre au rancard

On a ri, et ce n'est pas tout à fait sans raison, de la singulière étymologie que Saumaise avait donnée du mot poltron. Sous le règne des empereurs Valens et Valentinien, avait-il dit, certains hommes, pour échapper au service militaire, se coupaient le pouce de la main droite. Les empereurs firent une loi pour condamner aux flammes ceux qui auraient recours à cet expédient, et ces lâches furent désignés sous le nom de poltron, mot formé des premières syllabes des deux mots pollex truncatus, pouce coupé: pol (lex) tron (catus).

Mais il est reçu, en philologie, que les origines les plus tourmentées ne sont pas toujours les moins ingénieuses, et cela nous encourage à faire un audacieux abus du système de Saumaise pour expliquer à notre façon l'expression rancart. — Mettre un objet au rancart, ce n'est ni le repousser, ce qui dit trop, ni le reléguer, ce qui n'est peut-être pas assez ; c'est prendre le milieu entre ces deux partis : c'est l'écarter, c'est cesser d'en profiter ou d'en jouir, c'est enfin le mettre au rang des choses qui sont à l'écart.

Maintenant que notre audace est manifeste, allons jusqu'au bout : osons dire que si dans cette dernière phrase on effectue un rapprochement entre le mot rang et le mot écart, on formera le mot que nous cherchons. Il est vrai que la dernière lettre du premier mot et la première du second auront disparu ; mais, on ne l'ignore pas, le temps use bien des aspérités, et d'ailleurs ne faut-il pas toujours rogner quelque chose aux parties qu'on rapproche quand on veut faire une soudure ?

Le problème est-il résolu ? Nous ne le croyons pas. L'essentiel est qu'il soit posé. En allant plus loin que Saumaise, nous donnons volontairement à tous ceux qui nous lirons le droit de rire et de protester. Nous serons heureux si ces protestations nous apportent la lumière, car, nous pouvons l'avouer maintenant que le plus fort est fait, nous n'avions en vue dans tout ceci que d'aller aux informations. — L'orphelin auquel nous nous intéressons a eu quelque part une famille et il a peut-être même encore des alliés à un degré quelconque. La place qu'il occupe dans le monde des causeurs est trop importante pour qu'il ne descende pas par un côté ou par un autre de quelque branche connue, de quelque racine encore vivante, et, nous venons faire appel aux souvenirs de ceux qui auraient recueilli des indices sur sa filiation. Qui sait? on nous renverra peut-être tout simplement au verbe ranger dont rancart aurait été le substantif, en nous disant que mettre les choses au rancart, c'était les ranger.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible que les deux tronçons qui forment ici le mot rancart ne fassent pas bondir sur leur chaise d'ivoire les philologues indignés. On parlera, nous l'espérons, et la lumière se fera. Nous n'aurons alors d'autre reproche à faire au savant qui nous dira la vérité, que d'avoir mis trop longtemps son étymologie au rancart.