AUXERRE
IMPRIMERIE DE LA CONSTITUTION,
RUE DE PARIS, 31
1896
Le célèbre Guillaume Budé, en faveur de qui fut créée la charge de maître de la librairie sous François Ier, et auquel on a élevé de nos jours une statue qui orne l'une des cours du collège de France, se rattachait par ses ancêtres à l'Auxerrois. Plusieurs d'entre eux possédèrent, soit à Chablis, soif, dans les environs, des domaines importants qu'ils se transmirent pendant plus d'un siècle. Les Budé avaient en outre contracté diverses alliances dans la province, et leurs fonctions de pourvoyeurs des garnisons du roi aux xiv et xv siècles nécessitaient de leur part de fréquents voyages pour satisfaire aux exigences de leur charge. Ils venaient acheter leurs vins à Joigny, à Chablis, et principalement à Auxerre, dont les crus eurent pendant longtemps le privilège d'être servis à la table royale, ce qui donna lieu à un dicton bien connu :
Auxerre est la boisson des rois.
Guillaume Budé, premier du nom, est cité dans des actes de 1390 à 1417 ; on
le qualifie de pourvoyeur ou de maître des garnisons du tin du, Roy et de la Reyne, et aussi de notaire du roi.
Son alliance est ignorée, mais on sait qu'en 1399 il acheta, pour augmenter ses domaines, des biens en diverses
localités, par actes passés avec Jean d'Athie, écuyer, seigneur de Jouancy près Noyers. Il
devint ainsi possesseur de certains fonds de terre à Poilly-sur-Serein et du quart du diocèse de Chemilly,
près Chablis (1).
Jean Ier Budé, que l'on regarde comme son fils, était secrétaire du roi,
contrôleur de l'audience, et fut annobli en septembre 1399.
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Il avait épousé une Auxerroise, Isabeau Laubigeois, fille de Jean Laubigeois, grainetier d'Auxerre, pourvoyeur des garnisons de vin du roi, et de Jeanne Porcher, de Joigny (1). Cette Jeanne était elle-même fille d'Etienne Porcher, dont la généalogie curieuse et fort rare a été imprimée : Descente généalogique d'Estienne Porcher, habitant de la Ville de Joigny, avec ses lettres d'annoblissement de juin 1364, Paris, Nicolas Boisset, M.DC.L, in-4° de 148 p.
Au nombre des qualifications qui sont attribuées à ce dernier personnage, il faut mentionner particulièrement celle de maître des garnisons des vins du roi, avec laquelle il figure dans divers documents originaux. Ces alliances entre familles exerçant les mêmes fonctions étaient fort naturelles, et expliquent la propre parenté des Porcher et des Budé.
Nous avons rencontré quatre quittances d'Etienne Porcher comme maître des garnisons des vins du roi, depuis 1355 jusqu'à 1363. La première est adressée au trésorier de Paris (2), et les autres sont rendues au receveur général de Bourgogne (3).
Par une bulle du 1er mars 1372, Etienne Porcher avait été autorisé par le pape Grégoire XI à fonder une chapelle dans l'église Saint-Thibaud, de Joigny (4), et c'est ainsi que les Budé, comme les Le Coq, descendants du fondateur, prirent ensuite part à la nomination et à la présentation du titulaire de cette chapelle (5), ce qui prouve surabondamment que ces familles étaient dans des .../...
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rapports constants d'intérêt, chacune d'elles ayant conservé des domaines dans nos environs, Dreux
Budé, fils de Jean I, marié à Jeanne Peschard, était, en 1452, garde des archives du .royaume
et audiencier de France. Il testa en 1471 et mourut en 1474 (1), Jean II Budé, son fils, lui succéda dans
ses charges et prit aussi le titre de garde des archives du royaume et de grand audiencier de la chancellerie. Il avait
épousé, en 1464, Catherine Picard, de Joigny (2), d'une famille fort honorable qui y réside encore.
C'était un savant et un érudit, possédant l'une des plus belles collections de manuscrits, à une époque où l'on ne collectionnait guère et ayant la réputation d'être un très grand acheteur de livres, librorum emacissimus (3).
La Bibliothèque nationale a recueilli un certain nombre de ces manuscrits, qui sont venus après
diverses vicissitudes prendre place sur ses rayons. On les reconnaît aux notes mises par Jean Budé lui-même,
à des chiffres, à son écusson peint sur plusieurs frontispices : d'argent au chevron de
gueules chargé d'un, fer à cheval d'or et accompagné de trois grappes de raisin d'azur, à
queue de sinople (4).
Sur le manuscrit n° 7295 du fonds français on lit : Ce livre est à Jean Budé, conseiller
du roy et audiencier de France. Fait le XXVIIè jour de novembre MCCCCIIIIXXVI (5).
Il avait fait donner à tous ses fils une éducation des plus solides, et bien que l'un d'eux, Guillaume, ait fait oublier, par la haute situation à laquelle il parvint, la réputation méritée de son père et de ses frères, on ne peut omettre de dire que Louis Budé, ayant .../...
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été reçu, en 1493, chanoine de Troyes, après la mort de Nicolas Crenel, s'intitulait clericus in artibus, magister scolaris Parisiensis, qu'il mourut le 19 novembre 1517, à près de cinquante ans, étant encore chanoine de la cathédrale de Troyes et archidiacre d'Arcis, et que son amour opiniâtre des belles-lettres avait seul avancé ses jours. Le greffier qui ouvrit le lendemain le testament du défunt atteste que tous les assistants avaient les yeux pleins de larmes (1). Il fut remplacé dans ses fonctions à Troyes pas Nicolas Budé, son frère (2).
Un autre de leurs frères, nommé Etienne, et qualifié de presbiter in utroque jure licienciatus, avait été aussi pourvu d'un canonicat à Troyes en 1494 (3), de sorte que plusieurs membres de la famille occupaient alors dans la Champagne des situations ecclésiastiques importantes.
Nous n'avons pas à nous occuper davantage des enfants de Jean II, dont les enfants n'eurent pas d'intérêts dans nos pays. Il suffit de savoir que ce dernier mourut en 1500, fut enterré aux Célestins, à Paris, et que sa femme Catherine Picard, avec laquelle il avait vécu trente-six ans, mourut en 1506 (4).
Il n'est pas possible de supposer que ce Jean Budé, si passionné pour les livres et les manuscrits, n'ait pas été une des causes déterminantes de l'installation des imprimeries à Chablis et à Troyes. Aussitôt après la mort de Charles-le-Téméraire, arrivée le .../...
(1) Arch. de l'Aube, G. 1281. — Entre quatre et cinq heures de l'après- midi, le xix
e jour de novembre MVCXVII, mort est Louis Budé, chanoine de la cathédrale de Troyes et archidiacre d'Arcis,
âgé de moins de cinquante ans. Le lendemain son testament fut lu en assemblée du chapitre, non
sine maximo lachrymarum imbre — nam fateor lachryma, ex oculis cecid [ ] tepentes — Pallida que ex crebris
maduerunt fletibus ora.
Le 15 janvier 1517 (v. st.), comparution au chapitre de Guillaume Budé, secrétaire du roi, ornatissime tum
Gallice tum latine loquens, pour traiter de la liquidation de la succession de son frère.
Voir aussi Bibl.nat., lat. 17049, fol. 504 et 595, Extr. d'un livre contenant les réceptions des chanoines de l'église
de Troyes,
(2) Die veneris xxvii nov. — Nicolaus Budé, clericus Parisiensis. receptus est ad canonicatum quem semper
obtinere solebat nunc defunctus magister Ludovicus Budé, ultimus possessor. (Mêmes sources.)
(3) Die veneris xxviii nov. MCCCCXCIV, venerab. et disc.vir.majester Stephanus Budé, presbiter in utroque jure
lic. receptus ad canonicum vacantem per obitum magistri Jacobi de Dosnon (Bibl, nat., lat. 17049, 904 v°). Livre
des réceptions des Chanoines de Troyes.
(4) Bibl. nat., Cabinet des titres, Généalogie des Budé.
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5 janvier 1477 (1), c'est lui qui fut envoyé en Bourgogne par Louis XI, pour porter la confirmation des privilèges de la ville de Dijon.
Cet acte portait un article ainsi conçu :
« Item, que en nostre ville de Dijon aura un sceel estably de par nous, pour la garde duquel sceel y aura homme commis et aussi maistre JEHAN BUDÉ, qui à présent est audiencier de nostre chancellerie et les autres qui pour le temps advenir seront audienciers en ladite chancellerie de France, et semblablement les controleurs de ladite audience, commettons chascun homme de par eulx pour recevoir et tenir le compte de dossiers qui viendront dudit scel, ainsi qu'il est accoutumé faire en nos autres chancelleries » (2).
C'est peu après ces pérégrinations, c'est l'année suivante, 1478, que paraît le premier livre imprimé à Chablis.
Nos suppositions ne reposaient pas sur des preuves bien solides, et faisaient doule dans notre esprit, quand, en parcourant les archives de la Chambre des comptes aux Archives de la Côte d'Or, il nous tomba sous la main une charte royale, datée de 1488, relatant une déclaration de foi et hommage rendue par Jean Budé, pour un fief qu'il possédait à Chablis même. A Chablis et en 1488 ! L'année même où Pierre Le Rouge, nommé imprimeur du roi, imprimait à Paris la Mer des Histoires. Voici la pièce :
« Charles, par la grâce de Dieu roy de France, à nos amez et feaulx genz de nos comptes et tresoriers de Dijon, bailly de Sens ou son lieutenant, et à noz procureur et receveur dudit Sens, salut et dillection. Savoir vous faisons que notre amé et feal conseiller et auditeur de notre chancellerie, maistre JEHAN BUDÉ, seigneur de la terre et seigneurie de Milly lez Chablies, nous a ce jourduy fait ès mains de notre amé et feal chancellier les foy et hommaige que tenu nous estoit faire, pour raison et à cause de ladite terre et seigneurie de Milly et appartenances d'icelle, tenue et mouvante de nous, à cause de notre ohastel de Noyers, ausquels foy et hommaige nous l'avons receu. Et vous mandons que pour cause dudit hommaige non fait, vous ne faictes ou donnez, ne souffrez estre fait à notredit conseiller aucuns dos tourbes ou empeschement sur ladite terre de Milly, .../...
(1) La date de la mort de Charles-le-Téméraire, comme celle de l'acte en question,
est de 1476, vieux style, l'année commençant alors à Pâques, et Pâques tombant cette
année le 14 avril.
(2) Bibl. nat., Collect. Bourgogne, t. LX, fol. 770.
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« appartenances ou dependances d'icelles, ou autres de ces biens qui sont ou estaient pour ce saisis, arrestez ou
empeschez, les lui mectez ou faictes mettre incontinent et sans delay a plaine délivrance et ou premier estat,
et qu'il baillera par déclaration dedans temps deu ses adveu et denombrement, et nous en paiera les autres droiz
et devoirs.
« Donné à Paris, le vingt septiesme jour de janvier l'an de grace mil CCCC quatre vingt et huit, et
de notre regne le sixiesme,
Par le roy à votre relation »
PILLECHARTRE (1).
II résulte clairement de cette pièce que Jean Budé était antérieurement à cette date fixé à Milly-les-Chablis, puisque cette terre avait été saisie par les officiers royaux, soit pour défaut d'hommage, soit pour n'avoir pas rempli ses devoirs de vassalité en temps utile.
Entre les Le Rouge et les Budé peut-être existait-il des liens de parenté que nous ne connaissons pas ? Il y avait sans doute aussi des liens de famille entre les Le Rouge et les Le Coq, qui peu après dirigèrent l'imprimerie troyenne. On pourrait également supposer des rapports d'intérêt entre les Le Rouge et les Savine, dont l'un d'eux, Jean Savine, est cité plus tard au nombre des premiers et des meilleurs imprimeurs sénonais et dont la marque a été gravée par Jean Cousin.
Les Savine sont en effet originaires de Chablis et des environs. En 1522, Pierre Savine était seigneur de Fontenay près Chablis, et obtint le 3 juillet de la même année des lettres patentes pour la confection du terrier de cette localité. Un de ses parents, peut-être son frère, Jacques Savoyne, était, en 1528, chanoine de Chablis, et abandonna au commandeur de Saint-Marc le droit qu'il avait sur cette même seigneurie de Fontenay (2).
Des recherches bien dirigées dans nos archives locales pourraient éclairer ces questions, et établir les points communs et les alliances qui rattachaient ces divers personnages.